En début de semaine, Alger a émis quatre mandats d’arrêts internationaux contre des Algériens établis à l’étranger. Qui sont-ils ? Pourquoi inquiètent-ils le pouvoir ? Les demandes algériennes ont-elles une chance d’aboutir ? Éléments de réponse.
Hasard du calendrier politique ou opération concertée, l’annonce a de quoi réjouir le Garde des Sceaux algérien, Belkacem Zeghmati. Lundi 22 mars, le président français Emmanuel Macron promulgue la nouvelle convention d’extradition entre la France et l’Algérie que les deux parties avaient conclue en janvier 2019.
Cette convention, qui a nécessité six ans de négociations, met en place une coopération renforcée et plus efficace entre Alger et Paris en matière de lutte contre la criminalité, conduisant à la remise effective et plus rapide de personnes recherchées afin de les poursuivre ou de faire exécuter leur peine d’emprisonnement.
Selon l’article 4 de ce texte, les infractions exclusivement militaires, les infractions politiques ou connexes à des infractions politiques sont des motifs obligatoires de refus d’extradition. L’attentat à la vie ou à l’intégrité physique d’un chef d’État ou d’un membre de sa famille et les infractions à caractère terroriste ne rentrent pas dans le champ politique. En vertu d’un accord bilatéral, les deux parties ont obligation de soumettre le cas à leurs autorités compétentes pour décider des poursuites ou d’accorder l’extradition.
À point nommé
La promulgation de cette convention tombe à point nommé pour la justice algérienne qui a lancé, le 21 mars, quatre mandats d’arrêts internationaux à l’encontre de quatre personnes que le tribunal d’Alger accuse d’appartenir à un groupe terroriste. Il s’agit de Mohamed Larbi Zitout, résidant au Royaume-Uni, Amir Boukhors, blogueur connu sous le nom d’« Amir DZ » et de Hichem Aboud, journaliste et ancien sous-officier des services algériens, tous deux établis en France. La quatrième personne recherchée est Mohamed Abdellah, ancien gendarme qui vit à Alicante.
Ex-caméraman opérant sur un hélicoptère le long des frontières algéro-tunisiennes, Abdellah réside clandestinement dans cette ville du sud d’Espagne. Sur sa chaîne YouTube et son compte Facebook, il publie régulièrement des vidéos pour fustiger le pouvoir algérien.
L’extradition de Zitout, 57 ans, n’a aucune chance d’aboutir dans la mesure où cet ancien diplomate qui a trouvé refuge au Royaume-Uni en 1995 bénéficie du statut de réfugié politique qui le met à l’abri d’être livré à la justice nationale. Membre fondateur en 2007 du mouvement islamiste Rachad avec l’ancien dirigeants de l’ex-parti islamiste FIS (dissout en 1992), Larbi Zitout accuse régulièrement l’armée algérienne d’être derrière les massacres et les tueries qui ont fait plus de 70 000 morts durant les années 1990.
Très présent sur les réseaux sociaux, où il compte des centaines de milliers d’abonnés, Zitout se présente comme le porte-parole de Rachad que l’on soupçonne de vouloir faire main-basse sur le mouvement populaire Hirak en diffusant notamment les slogans « Moukhabarate irhabia » (services de renseignements terroristes) ou « généraux khawana » (généraux traîtres). Les tentatives de Rachad de noyauter les marches du vendredi n’inquiètent pas seulement le pouvoir algérien. Une partie des manifestants et des activistes du Hirak mettent en garde contre son éventuelle récupération par cette mouvance affiliée à l’ex-FIS dont les dirigeants sont tenus responsables de la guerre qui a ensanglanté l’Algérie durant la décennie noire.
Demandes politiques ?
Larbi Zitout, qui a déjà fait l’objet d’un mandat d’arrêt émis en 2019 pour « intelligence avec une puissance étrangère et atteinte à l’unité de l’armée » par le tribunal d’Oran, est aujourd’hui poursuivi pour « gestion et financement d’un groupe terroriste ciblant la sécurité de l’État et l’unité nationale, faux et usage de faux et blanchiment d’argent dans le cadre d’une bande criminelle ».
Installé en France, Amir DZ, 38 ans, est très actif sur les réseaux sociaux où il publie des vidéos et des informations supposément compromettantes contre des dirigeants et des personnalités algériennes. En 2018, il avait été condamné en Algérie à trois ans de prison ferme pour « extorsion de fonds », « chantage », « menaces » et « diffamation à travers les réseaux sociaux ». En 2019, il avait été entendu par la justice française sur la base de sept mandats d’arrêts délivrés par un juge algérien avant d’être relâché. Amir DZ est aujourd’hui poursuivi pour les mêmes chefs d’inculpation que Larbi Zitout.
Son statut actuel en France ne le met pas, comme c’est le cas de Zitout, à l’abri d’une éventuelle extradition à la lumière de la nouvelle convention promulguée par Macron. C’est également le cas de Hichem Aboud, auteur du livre retentissant La Mafia des généraux, sorti en France 2001. Installé en France, Aboud avait renoncé à son statut de réfugié politique en 2011 pour rentrer en Algérie où il a fondé deux journaux.
Poursuivi en 2013 par le parquet général près la cour d’Alger pour « atteinte à la sécurité de l’Etat, à l’unité nationale et à la stabilité et au bon fonctionnement des institutions », Hichem Aboud bénéficie actuellement d’une carte de résident de dix ans en France. Tout comme les trois autres personnes, le tribunal d’Alger l’accuse d’être lié à un groupe terroriste. L’intéressé préfère en rire, et rappelle qu’il a déjà fait l’objet de deux mandats d’arrêts lancés contre lui par des juges algériens.
Longues procédures
Entre l’émission de ces mandats d’arrêts internationaux contre ces quatre personnes et la possibilité que les concernés fassent l’objet d’une extradition vers l’Algérie, il y a loin de la coupe aux lèvres. D’abord, les mandats doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part d’Interpol avant leur éventuelle diffusion. Cet organisme doit s’assurer qu’un mandat d’arrêt ou une notice rouge ne revêt pas un caractère politique, militaire, religieux ou racial ou porter sur des infractions politiques telles que la trahison ou l’espionnage.
Sans compter que les procédures d’extraditions prennent du temps avant leur aboutissement, car les personnes poursuivies disposent d’une batterie de recours permettant de les retarder ou même de les faire débouter. C’est d’autant plus vrai que les dossiers transmis par la justice algérienne dans le cadre de demandes d’extraditions sont souvent incomplets ou tellement légers qu’ils butent face au premier écueil juridique.